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15/02/2013

Les producteurs, les auteurs et le Gouden Eeuw : si le crime ne paie pas, le travail encore moins.




Le paysan extrait toujours de ses mains (forcément calleuses, comme le veut le cliché littéraire) la matière première. S'il vit en Occident, la technologie a permis de rendre son travail moins pénible. S'il travaille sur les bords du Nil, au Pendjab ou dans la vallée centrale chez moi, au Chili, le travail reste le même que dans les premiers épisodes de "Il Etait Une Fois L'Homme", quand on passe de la chasse à l'agriculture.

Une chose demeure constante : le paysan, quelle que soit son outil, peut compter sur le fait qu'il ne tirera jamais aucun profit réel de son travail. Nulle part, jamais.

On est même obligé de forcer le système économique, par le biais d'associations, à lui reverser —au maximum— quelque chose d'équitable. Quant à avoir une position de force c'est, évidemment, un doux rêve.

A l'autre extrémité du monde, de petits pays, sans surface agricole ou presque, ont fait fortune. Ils achètent cette matière première. A partir de là, deux choix, tous deux parfaitement rentables : ils la revendent ou ils la transforment, et la revendent ensuite. Un pays, au-dessus de tous les autres, a accompli la prouesse d'être une chiure de mouche sur la mappemonde et de se gorger d'or. C'est la Hollande du XVIIIe siècle, dont ce fut le siècle d'or, le Gouden Eeuw.

J'aime à imaginer ce qu'un martien, ne connaissant rien à rien et n'ayant pour lui que le simple bon sens, dirait en découvrant notre monde. Et devant le schéma décrit plus haut (matière première = zéro / revente et transformation = $), je pense qu'il dirait juste : "pourquoi c'est comme ça ?".

Je me suis posé la question, car je pense que, fondamentalement, les auteurs fournissent la matière première pour l'écran. Les producteurs, quant à eux, achètent et revendent cette matière première, ou, mieux, la transforment et la revendent. Tous les producteurs ne gagnent pas énormément d'argent. Mais les auteurs, eux, en gagnent très peu, et surtout, je n'ai jamais rencontré de ma vie un producteur pauvre.

Alors pourquoi ?
Le paysan est fixe, il est attaché à son lieu de production. Il a un produit, il en est dépendant.
Le commerçant néerlandais n'est attaché à aucun produit. Il n'est attaché à aucun lieu, il est mobile.
Le commerçant vient trouver le paysan. Il établit un rapport de 1 à 1. Moi face à Toi.
Le cultivateur n'a pas d'alternative, donc pas de concurrence en sa faveur.
Le commerçant, par sa mobilité, peut aller trouver le plus offrant. Il fait le lien entre celui qui a le plus besoin de vendre son produit, et celui qui a le plus besoin dudit produit. Il entre sur le marché, dans un rapport de 1 à N, donc de Lui à l'Infini. La concurrence joue à plein.

L'auteur est, généralement, lui aussi attaché à son produit : son histoire. Il a beau en avoir plusieurs, il est forcément limité par sa capacité de production. Le producteur, lui, peut choisir au sein d'un nombre quasi infini de projets. La concurrence joue pour lui.
L'auteur doit démarcher les producteurs, cela lui prend un temps et une énergie qui luttent directement, dans un cercle vicieux souterrain, contre sa propre capacité de production.
Le producteur, lui, doit aussi démarcher, mais le nombre de distributeurs et de guichets de financement est réduit. De plus, il peut présenter un grand nombre de projets : les statistiques jouent pour lui. Son travail, comme le représentant de Jacques Vabre dans une publicité des années 80 merveilleusement détournée par les Nuls, consiste à savoir détecter la bonne matière première. Le travail fourni n'est pas, mais pas du tout, le même que celui qui de ses mains (toujours calleuses, pourquoi ça se serait arrangé ?), arrache à la terre le fruit du labeur (j'aime les images bibliques pétainistes vers l'heure du déjeuner).

J'ai pas de solution. Sinon peut-être que les producteurs et les auteurs s'associent au lieu d'établir des rapports de fournisseur à client. Les acteurs US le font : ils ont leur propre société de production. Mais les producteurs n'ont pas énormément de raison de le faire, puisqu'ils tiennent actuellement le couteau par le manche. Reste aux auteurs à trouver comment s'établir sur une position de force. Et créer ainsi, je l'espère, une nouvelle Compagnie des Indes, détenue à 50/50 par les marchands hollandais, et les cultivateurs de thé de Ceylan...

Le Critique et l'Humus




Il y a, tous les ans à peu près, un ou deux moments où je passe devant un kiosque à journaux, une affichette ou une colonne Morris et où, malgré la pluie ou le froid, je m'arrête net, et je reste les jambes coupées. Ce phénomène a beau se répéter, je ne parviens pas à m'y habituer. A chaque fois, les deux mêmes questions m'assaillent :
-"comment peuvent-ils se regarder dans une glace ?"
-"quel psy dénouera un jour l'écheveau des névroses de la critique française ?"

Comment est-il possible qu'un des plus grands génies comiques français se retrouve en couverture d'un magazine qui l'a vilipendé toute sa vie durant et qui n'hésite pas, aujourd'hui, à "effacer" cette période et à réécrire l'histoire en se vautrant dans l'hommage ? Quand ce n'est pas un magazine ou un journal, c'est la cinémathèque qui organise une rétrospective consacrée à un réalisateur de comédies ou de films de série Z qui, à l'époque, aurait pu pousser Henri Langlois à s'immoler par le feu devant tant de vulgarité ou de vacuité.

On oublie les insultes et le mépris comme on efface Trotsky des photos officielles russes. Mais surtout, cela pose question :
-Pourquoi, dans un premier temps, mépriser systématiquement la comédie et, à travers elle, un genre du peuple  (au sens de "populaire").
-Pourquoi, dans un second temps, se renier ?
-Pourquoi, ensuite, nier qu'on s'est renié ?

Je comprends parfaitement (même si ça me dépasse un peu) qu'un critique conspue un film comme "Le Jouet" de Francis Veber, ou "Le Petit Baigneur" de Robert Dhéry. Qu'il honnisse, en son temps, telle pièce à succès de Pagnol, ou même, tiens, plus près de nous, qu'il vomisse devant les grossièretés proférées par Jean-Marie Bigard, ou le beauf incarné par Fernand Raynaud. Je comprends qu'on juge Blake Edwards en dessous de la ceinture, ou qu'un critique de 1959 soit révulsé par l'écriture de Billy Wilder et Izzie Diamond. Je comprends qu'on trouve Paul McCartney léger ou Michael Jackson "bassement commercial".  Tout cela est normal, les critiques font leur métier. C'est leur droit, et si c'est honnête, tout va bien. Tant pis pour eux, à la limite.

Je comprendrais parfaitement que, 40 ans plus tard, le même critique dise : "Il en va des films comme de la chimie : les mêmes cause produisent les mêmes effets. Et donc, c'était de la merde, c'est toujours de la merde, ce sera toujours de la merde".

Mais non seulement je constate —toujours sous la pluie et dans le froid, pétrifié devant la colonne Morris— que ces gens méprisent jusqu'à leur propre parole ou école de pensée (car ce ne sont pas les mêmes, dans la mesure où il s'écoule 25 ans entre pilori et hommage, mais ce sont les mêmes journaux, les mêmes institutions, les mêmes magazines), mais qu'en plus, ils n'ont même pas la dignité de faire amende honorable en place publique. Car il ne s'agit pas de dire "De Funès est un génie". D'abord, tout le monde le sait (eux y compris, d'où leur triste névrose), on ne nous apprend rien. Mais on fait comme si tout était normal. Il ne s'est rien passé.

Ne s'agirait-il pas plutôt de dire "Nous avons insulté cet homme, nous l'avons méprisé, nous nous sommes trompés. A présent qu'il est mort, nous voulons lui rendre hommage".

Car il semble bien que tout réside là, dans ce mot antinomique en théorie avec la comédie : le mot "mort". Elle n'est écrite nulle part, vous ne la lirez jamais telle quelle, mais c'est une loi scrupuleusement appliquée partout en Occident, et plus particulièrement en Europe, avec une pointe très précise en France : "celui qui est aimé par les gens sera méprisé de son vivant, et, après un purgatoire d'une génération, sera célébré post-mortem".

De Chaplin à Michael Jackson, en passant par Pierre Richard et Molière, l'humus stimule la bienveillance du critique, comme si le corps de l'ennemi, désormais inoffensif, l'amenait à baisser sa garde et à admettre qu'il est lui aussi, le critique, quelqu'un comme les autres. 

"Rue des Condamnées" annoncé officiellement par France TV à la Rochelle

  Rue des Condamnées , projet porté depuis des années, auquel ma productrice Agathe Sofer (productrice de Kaamelott ) a cru depuis le début,...